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INTERVIEWS
‍Céréales
Manon Fleury
Photos : Pauline Gouablin
Synonymes d’autonomie alimentaire, les céréales ! Manon Fleury les considère bien sous cet angle, prioritaire dans le contexte international actuel. Cheffe passionnée et engagée en faveur de la diversité du végétal (même si sa cuisine n’est pas strictement veggie), elle joue ici, en cheffe d’orchestre culinaire, une véritable symphonie de céréales. Entrées, plats, desserts, boissons à base de sarrasin, millet, riz, teff, amarante, quinoa… : la créativité absolue donne le "la", au centre d’une démarche délicate et déterminée, destinée à valoriser le fondement historique d’une cuisine accessible et durable qui n’oublie pas d’être gourmande. Les photographies de Pauline Gouablin veillent, pour leur part, à éveiller dans le cerveau un plaisir visuel, précurseur d’un vrai bonheur gustatif.
Éditions Flammarion. 224 p. 29,90 €
Recettes

Manon Fleury

"La cuisine des céréales est vertueuse"

Avec la cheffe Manon Fleury, les céréales prennent tout leur sens. Alors que sa cuisine les célèbre avec tendresse, c’est une perspective écologique vertueuse qui se dessine dans ces recettes.
Pourquoi, aujourd’hui, un livre sur les céréales ?
MANON FLEURY.
Les céréales constituent la base de l’alimentation humaine depuis que nous avons adopté un mode de vie sédentaire. Elles le sont encore dans de nombreuses cultures. En France, nous n’en consommons que quelques variétés alors que nous en produisons beaucoup et partout. En oubliant certaines céréales, on a aussi oublié leur goût et leurs usages d’antan, souvent très ingénieux et économiques.Avec ce livre, je souhaite proposer des recettes pour cuisiner les céréales anciennes et nouvelles, venues en France. Les premiers à s’engager en ce sens, en travaillant de plus en plus avec des farines de blé ancien, ont été les boulangers. Les chefs sont un peu moins réactifs, surtout dans la haute gastronomie, engoncée dans ses propres codes et habitudes. La pâtisserie, hormis chez les spécialistes du sans gluten, du vegan ou d’autres marchés particuliers, est encore plus en retard. Bref, la transition agricole que nous entamons va devoir se prolonger dans tous les métiers de bouche pour toucher plus largement les consommateurs que nous sommes. Ce livre est un pas dans ce sens.
Qu’apportent-elles de plus à votre cuisine de cheffe, à votre inspiration ? 
M. F.
En France, la tradition du pain fait que l’on consomme principalement du blé. En dehors des pâtes ou du riz, les céréales sont rares dans notre culture culinaire contemporaine, que ce soit à la maison ou au restaurant. Il existe pourtant beaucoup d’autres céréales, cultivées en France : orge, amarante… Elles ont toujours fait partie intégrante du potager de nos anciens et on peut les consommer, du matin au soir, à travers des recettes simples.Les céréales offrent une palette créative de textures infinies et leur apport en protéines me permet d’explorer le terroir végétal pour lui redonner une place centrale dans l’assiette. Du moelleux, du croquant, du fondant, du soufflé, de l’onctueux, du sucré, du salé… Tout est possible. Leurs formes et leurs couleurs variées sont autant d’éléments permettant de ne pas négliger l’aspect esthétique des plats qui nous met en appétit. Cette poésie dans l’assiette, c’est fondamental pour moi. La dimension historique et culturelle de la cuisine est l’une de mes grandes sources d’inspiration., et les céréales sont une merveilleuse manière de se plonger dans notre patrimoine : un moyen simple et accessible à tous de le partager et de le transmettre entre les générations. J’aime comprendre comment on se nourrissait lorsque notre manière de manger était plus directement connectée à notre manière de produire et à la temporalité que nous impose la nature.Faire connaître et apprécier la variété des céréales, c’est aussi renouer avec une tradition agricole française, soutenir des filières vertueuses et retrouver des pratiques de bon sens - que ce soit dans la manière de produire (équilibre culture/élevage) ou de consommer (recette du "bon sens paysan"). Le plaisir durable, voilà ce qu’elles m’inspirent ! Ce sont deux axes forts de ma cuisine.
Quand et comment avez-vous découvert les céréales ?
M. F.
J’ai grandi dans une famille de sportifs où l’on faisait attention à ce que l’on mangeait. Les céréales ont toujours fait partie de mon alimentation. En revanche, dans les restaurants dans lesquelles j’ai travaillé, les céréales n’étaient pas très variées et toujours cantonnées à la place des accompagnements.C’est aux USA chez Dan Barber, dans son restaurant "farm-to-table" Blue Hill at Stone Barn, que je les ai mieux connues, que j’ai appris leur diversité et toute la créativité qu’elles offrent en cuisine pour chaque moment de la journée. Il y faisait notamment un "rotation risotto" qui permettait d’expliquer dans l’assiette la rotation des cultures maraichères. C’est un plat qui m’a marquée.Même si la haute cuisine fait de plus en plus de place au végétal : légumes, pousses, fleurs…les céréales sont encore trop rares. Elles ne sont pas un simple accompagnement : les céréales au centre de l’assiette peuvent constituer un plat ou révéler un produit.
Qu’est-ce qui vous amène à penser, comme vous l’écrivez dans votre livre, que les céréales seront demain incontournables ? Leur dimension écologique ? 
M. F.
Dans ma vie comme dans ma cuisine, je m’efforce de consommer des produits respectueux de l’environnement : la cuisine des céréales est une cuisine vertueuse aussi de ce point de vue là car elle est un formidable substitut aux protéines animales.Les céréales vont (re)devenir des incontournables de notre alimentation car elles impactent des questions très actuelles telle que l’indépendance alimentaire : la France a la chance d’être une grande productrice de céréales. Elle en exporte même une grande partie.En consommant des céréales françaises, on contribue à soutenir ce secteur majeur dans la prévention de pénurie alimentaire sur notre territoire- la réduction de la consommation de protéines animales et donc la production locale de protéines végétales : pour des raisons écologiques (pollution liée à l’élevage intensif et au transport), pour des raisons éthiques (conditions d’élevage ou d’abattage), intérêt grandissant pour la cause animale…On trouve de plus en plus de céréales variées dans les supermarchés (et les magasins BiO, ndlr), elles représentent un enjeu majeur de l’alimentation à venir et les marques l’ont bien compris. En plus des recettes, une partie du livre est consacrée à donner toutes les clefs pour connaître et cuisiner au mieux les céréales : origines, valeur nutritive, cuisson….
Quinoa, teff, amarante… Vous ne vous cantonnez pas aux céréales les plus connues. Qu’ont-elles les unes et les autres, de si différent ? Un goût ? Une texture ? Une promesse inattendue ?
M. F.
Toutes les céréales ont une particularité qui me plaît ! Un goût, une texture, une histoire, des qualités nutritives, une beauté aussi : il y a beaucoup de choses qui m’inspirent dans chaque céréale.J’ai longtemps hésité sur le choix des céréales de ce livre, la liste est tellement longue ! Je tiens à promouvoir une alimentation aussi locale que possible, alors j’ai veillé à privilégier les céréales cultivées en France. Il y a quelques exceptions, comme le freekeh, ce blé vert fumé qui n’est pas produit chez nous mais au Proche-Orient. C’est une variété ancienne de blé dur produite de manière particulière dans les pays du Levant. Au lieu d’attendre que le grain arrive à maturité, on le cueille jeune, quand il a encore une belle couleur vert émeraude et une texture tendre. Il fait toujours son petit effet dans une assiette car il garde sa couleur à la cuisson. J’espère que ce livre pourra donner envie à des agriculteurs français de se mettre à faire du freekeh !
Quelles sont vos céréales préférées ? Pour quelles raisons ?
M. F.
J’aime le sarrasin pour son goût torréfié, et je l’utilise sous toutes ses formes : en farine pour des pains ou des gâteaux, grillé pour infuser des boissons… J’aime également l’amarante pour sa texture, avec ses petites billes qui roulent sous la langue ; je la décline en porridge pour le petit-déjeuner car c’est le goût des matins de mon enfance !
Comment entendez-vous valoriser le travail des petits producteurs BiO français de céréales ? "Avec empathie et tendresse", écrivez-vous : votre signature culinaire solidaire ?
M. F.
Je travaille en direct avec un réseau de producteurs, majoritairement en Île-de-France pour les légumes, mais il y a aussi les agrumes dans le sud de la France ou les algues en Bretagne.Je leur rends visite aussi souvent que je le peux, a minima une fois par an. C’est important de comprendre comment ils travaillent et, par-dessus tout, j’ai besoin de créer un lien avec eux. Alors oui, "empathie" pour leur labeur et "tendresse" pour les valeurs qu’ils défendent, pour les hommes et les femmes qu’ils et elles sont. Ce livre est donc aussi un hommage aux producteurs et une rencontre avec ce monde agricole trop méconnu. Les céréales soulignent le lien vital entre la cuisine et la production agricole, son histoire et ses gestes.La mutation de l’industrie céréalière prendra du temps, mais elle est en bonne voie grâce à de petits producteurs qui ont vite saisi les enjeux actuels et su y répondre. ★‍