Ève Charrin
Comment on glisse du rêve au cauchemar, de la générosité spontanée d’une sobriété heureuse à l’expression d’une avidité éhontée, représentée par le cratère d’un chantier mortifère. Le récit d’Ève Charrin tient lieu de reportage au centre de la terre. À proximité du périphérique parisien, un projet de spa et de solarium menace des parcelles de jardins ouvriers, les "Jardins des Vertus". Un aménagement ? Une artificialisation des sols, un glissement de terrain : la métaphore fait sens au fil du récit, des témoignages, de l’analyse. Jardiniers en colère ou résignés, élus locaux, urbanistes, responsables institutionnels, avocats, se croisent, s’affrontent, se dévoilent dans cet état des lieux où derrière de petites victoires solidaires s’esquissent peut-être de grandes défaites écologiques. On déambule dans ces jardins, on y devine le pépiement des oiseaux, on y contemple les premières fleurs du cerisier, on se régale du prénom "Topinambour", et on tremble. On a peur de deviner la fin, le triomphe de la France moche et stérile, comme dans tant d’autres endroits du pays, mais on choisit de nourrir définitivement le combat plutôt que le découragement. La fertilisation, fût-elle utopique, du foisonnement de la vie plutôt que l’extinction programmée, sans états d’âme, de la biodiversité. Choisir son camp, envers et contre tout, ce récit affectueux et frémissant y invite.
Éditions Bayard récits. 231 p. 19 €