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L'INTERVIEW
SAVOIR & FAIRE. Objets et gestes d'autrefois.
Emma Bruschi
Photographies : Anaïs Barelli
Il devrait prendre place dans tous les foyers. Toutes les maisons. Aussi beau que rassurant, cet ouvrage est un ancrage : dans l’histoire des traditions rurales, du paysage et des cultures, des sols qui hébergent et nourrissent génération après génération, comme à la ferme de ses grands-parents, en Haute Savoie. Autrefois, on filait la laine, tressait la paille et l’osier, raccommodait les vêtements, battait son beurre. Les beaux objets qu’Emma Bruschi nous présente ici rayonnent d’une force sereine conférée par le temps, cet autrefois. Tous ont servi, pas plus tard que chez les grands-parents de l’auteure, tous peuvent occuper aujourd’hui une fonction quotidienne similaire. Il suffit de transmettre, et Emma Bruschi excelle dans cette transmission. Le vinaigrier, le panier en osier, la chandelle, les ciseaux de broderie, le banneton, le fuseau de lavande : au total, dix objets ruraux, emblématiques de l’art populaire, qu’elle les approche sous tous les angles depuis leur naissance dans la société d’alors, leur usage à travers les âges, leur vocation profondément écologique, leur légitimité dans le futur. Alliée à l’intégrité de la matière brute, la finesse des réalisations nous saisit, puis nous porte intérieurement, donne corps à un lien durable avec ces objets, nous inscrit dans un espace d’amour des savoir-faire car il faut savoir avant de faire. La paille, surtout, en permanence à portée de main d’Emma Bruschi, la main, et l’outil : artisane, mais également designeuse primée, elle voyage, inlassablement, dans l’espace des traditions d’où sa créativité s’envole et essaime, telle l’abeille qu’elle se promet d’accueillir dans les belles ruches qu’elle réalise. Emma artiste, Emma poète, Emma passeuse : et si nous cédions à la tentation de nous approprier ces savoir-faire afin de les prolonger à notre manière, ainsi qu’elle nous y invite ?
Éditions Ulmer. 192 pages. 28 €

EMMA BRUSCHI

L’ART DU GESTE

Diplômée de la Haute école d’art et de design de Genève, honorée, en 2020, du Prix des Métiers d’Art de Chanel pour ses vêtements délicats et poétiques riches en techniques de dentelles et tressage de paille de seigle, Emma Bruschi dévoile une personnalité artistique singulière. Qui ne ressent pas de coup de cœur pour ses boucles d’oreilles d’une sensibilité folle, également réalisées avec de la paille ? À la fois à la pointe de tendances on ne peut plus prestigieuses, et reliée à la tradition rurale dans la pleine intégrité de ses savoir-faire, elle avance sur ses terres cultivées à l’authenticité et la fluidité.
Vous êtes une personnalité reconnue dans le monde du design et de la mode et, simultanément, vous travaillez à transmettre et à illustrer par vos créations les savoir-faire traditionnels d’autrefois. Vous voyagez aisément dans le temps depuis toujours ?
Oui, effectivement, j'ai toujours eu une attirance pour les techniques et les gestes du passé. Je pense que c'est un goût qui m'a été transmis par mes grands-parents paysans car, grâce à eux, j'ai pu baigner dans l’univers de tous ces objets du quotidien et leurs gestes associés. Mais pas seulement, car ce sont aussi des valeurs par rapport au soin apporté aux choses : il importe de les réparer, les détourner, les transformer, les partager. Aujourd'hui, certains gestes se perdent alors qu'ils auraient encore du sens dans notre vie de tous les jours. Je trouve donc essentiel de transmettre à mon échelle, cela fait complètement partie de ma démarche artistique.
Quels plaisirs - physiques et intellectuels - ressentez-vous à tenir dans les mains les matières premières qui vont donner naissance à des objets tissés de respect de ces savoir-faire que vous semblez avoir appris avec bonheur ?
C'est une grande joie à toutes les étapes du processus. Il y a une recherche formelle et les défis techniques associés. Quand on arrive à guider la matière exactement comme on l'a imaginé, c'est une grande satisfaction. Quand le geste devient fluide on laisse son esprit aller et les mains prennent le relais. Enfin l'objet terminé est effectivement comme une naissance, on le contemple et ne le découvre qu'une fois fini. Si l'on a, en plus, cultivé sa propre matière première, c'est encore un plaisir qui s’ajoute, un peu comme lorsqu'on cuisine avec des légumes de son potager.
Vos créations en paille sont présentes dans votre livre. D’où vous vient cette passion pour la paille ?
La paille est une matière que j'ai toujours eue dans mon environnement. Je l'avais vue surtout auprès des animaux et dans les champs, je la percevais comme un matériau rustique, brut et cassant, et j'avais pu l'utiliser dans des projets mais seulement de manière très brute. Ce n'est que plus tard, vers la fin de mes études, que j'ai découvert des photos de bouquets moisson tressés et observé la finesse et la souplesse que cachait cette matière. Je me suis alors mis en tête de rechercher ces techniques et des personnes qui les connaissaient encore. C'est au musée de la Paille, à Wohlen en Suisse, que ma passion s'est décuplée. On y trouve les pièces en paille les plus fines et minutieuse existantes, datant de l'époque où ce savoir-faire a été poussé jusqu'à l'excellence.
À l’image des créations en paille, quelle histoire personnelle vous a conduite à choisir les savoir-faire de votre livre ? Quels sont ceux qui vous inspirent le plus ?
Le choix des objets a été difficile car il y en avait tellement qui me plaisaient ! Pour faire un choix cohérent, j'ai gardé seulement les objets qui pouvaient être associés à une technique d'apprentissage qui avait encore du sens dans nos sociétés modernes. Mais aussi des objets que je trouvais inspirants à réinterpréter de manière formelle. Cela m'a permis de réduire mon choix à 10 objets qui me touchent personnellement et que je trouve beaux. Certains ont été plus évidents que d'autres : l'idée de pouvoir fabriquer mon propre moule à beurre par exemple, et d'en imaginer la forme était particulièrement excitante. Ce sont des goûts et des formes qui replongent dans des souvenirs d'enfance et dans un imaginaire.
Pouvez-vous commenter pour TOPNATURE les photos suivantes d’objets d’autrefois, en nous décrivant  la résonance qu’elles ont en vous ?
© Anaïs Barelli
A. LE BOUQUET DE MOISSON. Cette photo me plaît énormément ! Avant tout parce qu'elle montre la superbe porte qui mène à la cave dans la ferme de ma mère en Haute-Savoie : une ferme construite en 1822 où habitait mon arrière-grand-mère. Ensuite, j'y présente un nouveau bouquet de moisson, le plus grand en termes de taille que j'aie jamais fait. Il s'inspire très fortement des bouquets anciens et j'y ai ajouté une très légère touche personnelle. Il me plait parce qu'il pourrait être tout droit sorti du passé. Je trouve que les barbes rayonnent d'une certaine lumière.

© Anaïs Barelli
B. LA RUCHE. La vannerie spiralée était une manière d'aborder la paille totalement différente pour moi. La paille est tout de même fendue pour un rendu plus fin que sur une ruche classique. C'était aussi la première fois que je concevais un objet pour une autre espèce, en ayant certaines contraintes liées à leur habitat et leur confort : c'était très intéressant.

© Anaïs Barelli
C. LA CHANDELLE EN CIRE D’ABEILLE m'a également permis d'en apprendre plus sur les abeilles, sur la manière dont la cire est produite, dont on l'extrait des alvéoles. J'ai pris aussi conscience de la préciosité de cette matière première, très sensorielle avec cette odeur si douce. L'idée était donc d'en faire un objet imposant et majestueux.

© Anaïs Barelli
D. LES PANIERS. Ici, on peut observer une multitude de paniers qui sont issus soit de ma collection personnelle chinée en brocante, d'artisans locaux , soit de ma famille. Il y en a de toutes les tailles et chacun a une fonction particulière, je trouve qu'on ressent vraiment la personnalité et le style de chaque vannier. Le panier fait vraiment parti des objets qui étaient fabriqués personnellement pour des usages très spécifique avec les matériaux environnant.

© Anaïs Barelli
E. LES CISEAUX DE BRODERIE. Dessiner ma propre paire de ciseaux à broder était une grande joie car ce sont des objets très raffinés qui m'ont toujours plu. En travaillant avec un forgeron, j'ai voulu le rendre beaucoup plus brut : sa forme est inspirée des "forces" pour tondre la laine. Il m'accompagne désormais pour tous mes petits projets de couture, et c'est vraiment une joie d'être entouré d'objets si précieux.

A LIRE
Journal de récolte 2023 d'Emma Brusch

Contact : Boutique en ligne : https://emmabruschi.fr/fr