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L'INTERVIEW
Douceurs coréennes
Luna Kyung
Photographies : Camille Oger
La douceur en émane, dès la couverture. De ce nouveau livre de Luna Kyung, une impression d’art de vivre, empreint de philosophie bouddhiste, imprègne l’esprit. On se dit que préparer et savourer l’une de ces douceurs coréennes nous conduira, à coup sûr, vers une exquise sérénité. Un espace intérieur où l’on se sent bien, tranquillement inspiré par l’instant présent. Traditionnelles mais, également, orientées vers le monde actuel, les recettes de Luna Kyung traduisent ce double mouvement qui anime la Corée. Les formes, les couleurs, les textures de ces douceurs relèvent d’une culture toute en précision, en célébration, en attention d’où la recherche d’un équilibre nutritionnel n’est pas absente. Dans cette délicieuse approche, raffinée et esthétique, les ingrédients sont, depuis toujours, soigneusement choisis et cette ode au temps étiré (il ne faut surtout pas se précipiter pour réaliser ces recettes) nous offre, au passage, un parfum de bonheur simple qui nourrit le cœur.
Éditions La Plage. 120 p. 20 €

Luna Kyung

"Il n’y a pas de dessert en Corée !"

L’ADN d’une saine gourmandise

Les habitudes culinaires coréennes diffèrent profondément des nôtres, européennes. Luna Kyung nous en explique les nuances nutritionnelles, spirituelles et artistiques.
Vous ne parlez pas de "desserts" au sujet de ces "douceurs". Pour quelles raisons ?
Luna Kyung Dans un repas coréen traditionnel, tous les plats sont servis en même temps. Par conséquent, il n'y a pas de notion de “dessert” en tant que dernière étape d'un repas. Alors que les douceurs, des mets sucrés, sont nombreuses.
Quelle était, à l’origine, la fonction nutritionnelle de ces douceurs ? Étaient-elles vegan, à l’époque ? Avez-vous dû adapter certaines recettes pour qu'elles soient vegan ?
Dans le passé, les aliments sucrants étaient très précieux, non seulement en Corée mais aussi dans le monde, et considérés comme bénéfiques pour la santé grâce à leurs propriétés qui fournissent rapidement de l’énergie. Nous étions loin de la vision du sucre d’aujourd'hui, selon laquelle il est désigné comme dangereux. Le miel, en particulier, est encore aujourd'hui considéré comme un aliment sain. Parmi les nom de douceurs, ceux avec les lettres
"yak", en coréen, qui signifient "le médicament", contiennent du miel. La cuisine coréenne traditionnelle n’emploie pas de produits laitiers. Les œufs ne sont utilisés que dans les recettes salées. Par conséquent, les mets sucrés étaient vegan, sauf ceux avec du miel. Quant aux douceurs contemporaines, elles ont subi l’influence de l’Occident, souvent par rapport aux ingrédients d'origine animale.
Quelles sont les caractéristiques des "douceurs coréennes" en termes de textures, de formes, de couleurs ?
L. K. Au niveau de la texture, leur particularité provient du riz. En Corée, plus c’est collant, plus c’est apprécié. C‘est ce cas des tteok, gâteaux de riz. Le injeolmi, pâte de riz gluant enrobé de poudre de soja grillé, en est un bon exemple. L'amour sans bornes pour la texture collante
-gluante- du riz par les Coréens peut ne pas être compris par les Occidentaux qui préfèrent le riz à long graines. En outre, Il existe de nombreuses douceurs aqueuses comme le yuja-hwachae, jus de yuzu garni du zeste de yuzu et de la poire râpés, avec des grains de grenade. Quant aux cuissons, pas de four mais, principalement, de la vapeur. Par conséquent, en général, une texture humide et moelleuse est préférée. L'origine de la pâtisserie coréenne est étroitement liés aux rites saisonniers et ancestraux, aux offrandes : les fruits y étaient indispensables mais, à défaut, sont utilisés les gâteaux à base de céréales sucrés et de fruits séchés, en tant qu’imitation des fruits. Par conséquent, les gâteaux reflètent des couleurs et des formes rappelant des éléments naturels tels que les fruits, les fleurs, le soleil et la lune, ce qui conduit à l’aspect très décoratif.
Portent-elles une dimension artistique comme le wagashi japonais ?
L. K. Oui, bien sûr. Mais l’élément artistique n'est pas seulement agréable à l'œil  : il se réfère également à ses qualités nutritionnelles. L’aspect visuel est très important dans la cuisine coréenne, sucrée comme salée. Traditionnellement, un plat bien préparé doit comporter cinq couleurs : les osek-gyeongdan, boules aux cinq couleurs le montrent bien. La diversité chromatique a été considérée comme étant liée à l'équilibre nutritionnel. Dans ce sens, chacune des cinq couleurs symbolise un élément naturel ; vert (bleu) : le bois - jaune : la terre - rouge : le feu - blanc : le métal - noir : l’eau.
Quels sont les ingrédients phare de ces douceurs ?
Pour quel usage ?

L. K. C’est le riz, utilisé non seulement pour la base de pâte (comme le blé, dans la pâtisserie française), mais aussi comme édulcorant : le jocheong, sirop de riz est employé en guise de sucre. Ce qui est inhabituel, c'est qu’il n’y ait pas d’a priori sur l’utilisation de légumineuses ou de légumes pour les mets sucrés. Les fèves de soja, en particulier, sont employées sous toutes les formes : poudre, purée, suc ou en entier. Riche en protéines, le soja apporte de la rondeur gustative dans ces plats vegan qui peuvent parfois manquer de gourmandise.
Quels ingrédients pour quelles recettes de douceurs aimez-vous particulièrement ? Vous rappellent-elles des moments positifs particuliers ?
L. K. Ma préférence va vers une douceur contemporaine : le bingsu, une glace râpée. Presque tout le monde l’aime, d’ailleurs. En effet, vous pouvez utiliser quasiment tous les ingrédients de votre choix comme garniture : fruits, crèmes glacées, pâte d’haricot rouge, gâteaux de riz, biscuits occidentaux ou pourquoi pas chocolats. Je l'adore garni de pâte de riz et la poudre de soja grillé ! Je me souviens de l’été coréen et du plaisir intense de manger du bingsu si froid qu'il me glaçait le cœur alors que le soleil tapait fort sur ma tête ★