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L'INTERVIEW
LÀ OÙ LE RIZ SENT LES FLEURS DE MANGUIER
Mes recettes familiales du sud-ouest de l'Inde
Zuri Camille de Souza
Comme si nous le sentions, ce parfum poétique de fleurs de manguier évoqué par Zuri Camille de Souza dans ce livre de recettes ponctué de souvenirs de son Inde natale ! Le récit d’enfance, les photos de marchés, de devantures, d’ingrédients vendus sur le trottoir, la proximité qu’ils transmettent, font entendre tout au long du livre les sons, les couleurs, les odeurs et les voix des rues du sud-ouest du pays où l’auteure a vécu jusque’à récemment. Les recettes savoureuses qui suivent n’en portent que plus de densité sensorielle. Inscrite dans le quotidien, l’introduction de chaque entrée, riz, curry, pain, dessert, boisson, conte une histoire, une inspiration, une transmission qu’il nous est suggéré de partager. L’appui d’un cahier technique pour les spécificités des ingrédients essentiels, tels que les épices, les tours de main pour les cuissons, vient en fin d’ouvrage éclairer d’une assurance nouvelle notre entrée dans cet univers d’une humanité qui nourrit plus que tout le cœur.
Éditions Ulmer. 192 pages. 26 €

ZURI CAMILLE DE SOUZA

RECETTES FAMILIALES DU SUD-OUEST DE L’INDE

L’ADN d’une saine gourmandise

Beaucoup de couleurs, de senteurs. Vibrante, cette cuisine du sud-ouest de l’Inde sent bon les souvenirs d’enfance, le partage et la transmission. C’est bien volontiers que l’on reçoit cette invitation à découvrir, pour la prolonger, une cuisine pleine de sens, d’ancrage et de vie, « Là où le riz sent les fleurs de manguier ».
L’ENTRETIEN
De votre cuisine de partage et de tranquillité implicite émanent senteurs, couleurs et présence humaine d’une richesse poétique profondément vivante. Comment le riz peut-il sentir les fleurs de manguier ?
Ma mère vient de Pune, dans la région de Maharashtra, mais a grandi et voyagé partout dans le monde. Mon père, de Goa mais puise ses origine du Kenya. Mes deux parents ont tout les deux grandi avec les recettes spécifiques de leur région natale — pour mon père, c’est l’Ukade, un riz rouge assez épais, délicieux,. Pour ma mère, c’est un riz qui s’appelle Ambemor, un riz aux grains tout petits, blancs, qui une fois cuit, sent divinement les fleurs de manguier, un parfum très délicat avec des notes de pollen et de fruits. C’est ma madeleine de Proust.
Quels sont les parfums que vous avez toujours préférés dans cette cuisine familiale traditionnelle du sud-ouest de l’Inde ? Quels sont les ingrédients qui leurs sont associés ?
Pour moi, la cuisine sent le riz fraîchement cuit, le mélange de piments rouges broyés avec des oignons et des graines de coriandre torréfiées mais, aussi, l’huile de coco, le tamarin, le chutney de cacahuètes à l’ail, des bottes de coriandre délicieusement parfumée, aux notes herbacées et toniques. Ce sont les saveurs que j’aime travailler : l’acidité et le piquant, la fraîcheur.
À vous lire, vous êtes tissée de souvenirs sensoriels réconfortants. Vos retours en Inde éveillent-ils toujours en vous cette vibration affective ?
Retourner en Inde est toujours quelque chose de très intense et intime. Je suis chez moi bien sûr - je ne suis partie que depuis six ans - mais j’observe que, à chaque retour l’Inde que j’aime et que je connais change, très vite et pas forcément dans la bonne direction. J’essaie toujours de retrouver les moments qui m’inspirent, des moments de  poésie et de beauté que seulement l’indéterminé peut offrir, qui me manquent quand je suis loin. Mais je dois aussi reconnaître la complexité d’un pays post-colonial qui n’a toujours pas soigné ses traumatismes et douleurs et dans lequel les inégalités socio-économiques sont toujours présentes.
Comment nourrissez-vous aujourd’hui, loin de l’Inde, cette mémoire olfactive ? Avez-vous dessiné une passerelle culinaire entre l’Inde et l’Europe ?
Au marché, dans les champs et les jardins, je trouve toujours un légume ou un aromate qui évoque les saveurs et parfums que j’associe avec « chez moi ». Cette passerelle entre mon héritage culinaire et un terroir local, c’est la base de ma cuisine de saison, toujours en soutien des producteurs et productrices, des artisanes, des maraîchères. J’aime découvrir des saveurs que je connaissais pas mais qui s’intègrent à mes recettes. En revanche, le fait de mettre en valeur une cuisine végétarienne ne vient pas  forcément de mon héritage car ma famille mange de tout à la maison : viande, poisson, légumes. Mes parents ont grandi avec de différentes croyances religieuses et des cuisines/traditions appartenant à des communautés différentes. J’ai grandi dans cette pluralité culturelle qui s’inscrit sur le plan culinaire, et je leur en suis très reconnaissante. Cela m’a permis d’avoir une certaine  ouverture d’esprit.
La mise en valeur d’une cuisine plus écologique et plus respectueuse est une chose à laquelle je réfléchis beaucoup. Il ne faut pas oublier que l'accès à la nourriture est encore fortement influencé par le système de castes en Inde où manger végétarien est un immense privilège, surtout dans un contexte où les minorités religieuses sont souvent persécutées en raison de leurs traditions culinaires.